"I hang you at my neck..." | ft. Dylan

« Mamie... ça va faire, là! »

Grand-maman est encore en train de vider les armoires de la cuisine sur le plancher, avec un vacarme du boucan. Il fallait que j'arrête de me maquiller à chaque fois pour aller la saisir. Je la prends doucement par les bras, et la regarde droit dans les yeux. C'est difficile de cacher son impatience à ce point là et de feindre un air complètement béat.

« Je veux mes babeurres à l'italienne, pis je vais me les faire moi-même s'il le faut!! » pesta la grand-mère le dentier serré.

« Non, mamie, tu le sais que le docteur a dit que c'était mieux de pas te laisser cuisiner toute seule... » je lui réponds, en soupirant.

« Mes biscuits!! » elle m'interrompt en criant et en se retirant de mon emprise.

« Bin oui, je vais aller te les acheter tes babeurres à l'italienne!! C'est beau!! Je vais me plier en quatre pour ma mamie parce que j'ai rien que ça à faire, de toute façon! »

J'avoue que je disais ça pour qu'elle arrête de se plaindre, et pour évacuer ma frustration de manière immature. Ça faisait du bien, des fois. Pour vrai, j'avais passé la journée à essayer de différents mugs pour aller avec mon nouveau par-dessus Louis Vuitton.

Je m'enferme une ultime fois dans ma chambre, termine mon rouge à lèvres, me retouche brièvement après m'être inspecté sous chacun de mes angles. C'est en sortant complètement drag, du talon-haut à la perruque, que je vais installer ma grand-mère devant les Feux de l'amour.

« Bon, là je vais acheter tes babeurres. Après, tu me laisses travailler toute la journée. Tu sais c'est combien d'heure pour arriver à un tel résultat! » je lui dis en gesticulant mes acryliques pointus devant mon visage.

Elle me fait une moue et monte le son de la télévision. Je prends ma sacoche et je quitte l'endroit. Devant les Feux de l'amour, y'a rien à craindre. Et puis, moi, j'avoue que ça fait mon affaire... J'avoue que je commençais à trouver ça dommage de gaspiller un maquillage réussi devant un simple miroir. Juste pour faire effet, avant de partir, je mets mon nouveau Louis Vuitton à 400$. Au moins, ça va donner son charme. C'est à ça que ça serre des cartes de crédit. À ça, puis aux babeurres à l'italienne.

J'aime que les gens se retournent et m'admire, soient impressionnés, ou même séduit, par l'oeuvre d'art que je suis. Je me déhanche dans la rue en sachant que ma prestation peu commune pour aller faire l'épicerie allait attirer l'attention vive de bien des gens. Et moi, je leur répliquais de mon regard, simplement «bin oui, je sais que je suis la plus belle, mais j'ai bien le droit».

J'entre dans le super-marché à quelques coins de rue de mon appartement. Mes talons claquent à en faire tourner tout les mentons. Je souris, c'est agréable. J'entends même des commentaires en murmure... N'importe qui sait que les dragqueens font sensation en ce moment, surtout dans notre charmant quartier. Je serais bête de ne pas en profiter.

Je m'avance dans l'allée des légumes. Un vieillard me dévisage, carrément abasourdi. J'ignore, tellement il est statut, s'il est dégoûté ou émerveillé de me voir. C'est en le fixant dans les yeux que je m'approche de lui, d'un air lascif et sensuel... Puis, je m'aperçois que je suis à portée de main des aubergines. J'en empoigne une et l'adule de manière totalement suggestive.

« Tu aimes, ça, pépé? » je lui demande d'une voix beaucoup trop grave pour ce que mes corde vocale supporte habituellement.

Le vieux bonhomme me regarde en tremblant. Si ses yeux pouvaient lancer de littérales poignards, bien sûre qu'ils l'auraient fait. Moi, je lui offre mon plus beau sourire sous tous ses angles, comme s'il eut été l'appareil photo branché directement à mon compte Instagram.

C'est là que j'entends quelqu'un me traiter de « son héroïne » dans mon dos. Je tourne mon menton par dessus mon épaule, pour faire danser mes cheveux parfaits dans un mouvement gracieux. Tout est calculé, je sais être parfaite comme toujours.

Et c'est là que je vois son visage, qui, tiens donc, s'ajuste parfaitement à sa voix. Mais je reconnais ça, ce beau petit minois-là. Je me retourne, et abandonne carrément le pauvre vieillard qui retourne à ses occupations probablement en jurant les jeunes de nos jours qui savent pas se tenir en public... Et pourquoi pas!

Je me déhanche vers lui. Je sais exactement de qui il s'agit : c'est le frère de Charles Beaudry. J'apprécie particulièrement tout artiste canadien - c'est la cote, d'encourager local. Mais je dois avoué que je m'étais abonnée à lui à la suite du décès de son frère, parce qu'ils sont franchement mignons et que... et bien, grâce à certains miracles de la vie, tout n'est pas gaspillé.

Je me ravise. Je ne devrais pas dire que c'est le frère de Charles Beaudry. C'est Dylan, son nom. Dylan Beaudry vérifié par les réseaux sociaux... C'est juste débile comme je regrettais de voir Charles en live, et là... magie! Ou presque.

« Oula-la-la! Notre marché local vend de la viande rare aujourd'hui! Dylan Beaudry, quelle coïncidence que deux célébrités se croisent en plein quotidien. »

Je lui fais un sourire fin suivit d'un petit rire narquois. Non, je ne suis en rien une célébrité qui lui arriverait un jour à la cheville. Mais se prendre pour une star ne fait qu'étinceler ma présence, non?

Je m'avance encore plus, pour être dans sa bulle dans toute mon arrogance, et lui siffler de basse fois :

« Je suis tellement désolée pour ton frère. Il était bourré de talent... comme toi. »

Je penche ma tête vers le côté et plisse des yeux. Il n'y a absolument rien de sincère dans ces excuses : je ne le connais pas, et je veux pas savoir deux secondes c'est quoi que de perdre son jumeau. Mais j'aurais l'air de quoi de ne pas lui offrir mes condoléances?

Et je change de sujet comme une vrille, en l'éloignant de lui, comme si je valsais avec cet homme que je likais tous les jours sur Instagram, mais qui ne me connaissait aucunement. Je le fixe toujours, intensément, comme si je jouais visiblement à un jeu grotesque de séduction.

« Ne me dis pas que tu viens acheter tes oeufs et ton bacon ici, mon très cher? Tu es du quartier?! » je m'exclame dans toute ma réaction émotionnelle proportionnée à ma beauté.

Dylan le beau Beaudry ne réponds pas pendant un moment. Je le fixe, droit dans l'iris, en penchant la tête légèrement sur le côté. Je la vois, la lumière dans son oeil qui nous quitte vers la nostalgie délirante. Bien que je ne la comprenne pas. Mais diantre que j'aimerais la saisir! Il me réponds qu’il était dans les vagues. Je prends immédiatement une mine triste.

« Oh… Pauvre chou. Je suis tellement désolée, c’est certain que c’est encore tellement difficile pour toi… »

Parmi mes paroles vides et mes jolis minois que je lui offre, je le lèche du regard. Je pourrais me pendre à son cou et m’en faire ma peluche préférée. Bien que ce soit une stupidité de dire qu’il ressemble tant à son frère, le sentiment de cette énormité en moi est si puissant que l’idée absolument parfaite me vient en tête.

Oh!! Mais te changer les idées te ferait tellement de bien!! Je t’en prie, dis-moi que tu es dans le coin encore pour un moment… »

Mes yeux le suppliaient, et je lui pris la main doucement en laissant sentir une moindre poigne d’acrylique.

J’aurais absolument ce qu’il te faut pour te remettre le sourire aux lèvres. »

Peut-être pas au coeur. Ça je connais pas la formule. Mais aux lèvres, ouais.